La mort dans une embuscade, le 25 avril dernier, d’un brigadier général indonésien en charge du renseignement militaire dans le cadre de la lutte contre le mouvement séparatiste de libération de la Papouasie occidentale constitue un pas de plus dans l’escalade de ce conflit lancinant qui empoisonne la vie du pays depuis l’indépendance proclamée par Sukarno en août 1945, après trois siècles et demi de colonisation néerlandaise.
C’est en effet le plus haut gradé indonésien à être tué en action sur le terrain dans cette région. Après les graves émeutes qui ont eu lieu en août et septembre 2019 dans les principales villes de ce territoire, cet événement confirme que la situation est plus critique que jamais et que la traditionnelle politique répressive employée par Jakarta pour juguler la rébellion ne parvient pas à régler le problème.
Seule une solution politique négociée serait à même de permettre à l’Indonésie de relever le défi de nature néocoloniale auquel elle est confrontée.
Quelques jalons historiques pour comprendre la situation
Au moment où l’Indonésie prit son indépendance, en 1945, la région nommée Nouvelle-Guinée néerlandaise était restée sous la férule des Pays-Bas. En 1962, Sukarno parvient à l’intégrer à son pays grâce à un accord signé avec l’ancienne puissance coloniale, sous l’égide de l’ONU. La province sera gérée par l’organisation internationale pendant une année avant de rentrer dans le giron de l’Indonésie en 1963, encore du temps de Sukarno.
Le moment crucial à l’origine de la présente situation est le simulacre de référendum organisé par le gouvernement indonésien en 1969 sous l’Ordre nouveau du président Suharto, signant la fin de la terrible crise économique et politique des années marquant la fin de règne de Sukarno. Par ce scrutin, la Nouvelle-Guinée néerlandaise devient la 26e province du pays, sous le nom d’Irian Barat (Irian Ouest, nom qui sera modifié en Irian Jaya, c’est-à-dire Irian victorieux, en 1973).
Naît alors l’OPM (Organisasi Papua Merdeka, ou Organisation pour la libération la Papouasie), un mouvement indépendantiste de résistance armée n’ayant guère de chance de succès du fait de son isolement et de la puissance de son adversaire, mais qui va entretenir une activité de basse intensité jusqu’à ce jour.
Pendant le tiers de siècle où l’Indonésie va vivre sous la dictature militaire du général Suharto et de son « Ordre nouveau », qui prend le pouvoir en 1966 et le gardera jusqu’en 1998, les opérations militaires vont s’enchaîner en représailles aux quelques escarmouches épisodiques du mouvement séparatiste, et les exactions se multiplier à l’égard de la population civile mélanésienne de l’Irian Jaya. Les auteurs les plus fiables estiment qu’entre 100 et 300 000 personnes ont été tuées dans cette seule province par l’armée indonésienne pendant cette période, sans parler des viols fréquents et des spoliations en tout genre. Certains défenseurs des droits humains n’hésitent d’ailleurs pas à parler à cet égard de génocide.
Puis la crise financière asiatique partie de Thaïlande en 1997 s’étend à l’Indonésie et met son économie à bas, entraînant la fin de l’Ordre nouveau en mai 1998 et l’avènement d’une démocratie au début très agitée et fragile. Celle-ci va se consolider avec le temps et perdure jusqu’à aujourd’hui, bien qu’elle montre des signes inquiétants de stagnation et de régression depuis quelques années (sur tous ces événements et ceux qui ont précédé ou suivi jusqu’à fin 2020, le lecteur peut consulter l’ouvrage en accès libre que l’auteur vient de publier, intitulé Indonésie : l’envol mouvementé du Garuda ; Développement, dictature et démocratie.
Pour autant, la situation ne va guère changer en Irian Jaya, hormis la petite concession symbolique faite en 2000 aux indépendantistes quand leur province est renommée Papua. D’ailleurs, le leader modéré de l’OPM, Theys Eluay, est froidement assassiné par un commando de choc des Bérets rouges de l’armée en 2001. Puis, en 2003, la province est divisée en deux parties, la Papua et la Papua Ouest, sous le prétexte qu’elle est bien trop grande pour être administrée efficacement mais, en réalité, au nom du vieux principe du « diviser pour mieux régner ».
Jean-Luc Maurer