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Les autochtones marchent pour le respect de leurs terres en Bolivie

La XIème marche autochtone a fait son entrée dans la ville de Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie, le jeudi 30 septembre. Plus de 500 représentants des peuples autochtones ont effectué les dernières foulées d’une marche qui aura duré plus d’un mois et couvert 550 kilomètres. Ils réclament que le gouvernement respecte l’intégrité de leur territoire et qu’il protège la nature, conformément à la constitution du pays. Le président Arce, du parti du Mouvement vers le socialisme (MAS), refuse tout dialogue à ce jour.

Marcher pour défendre les droits des indigènes
Exténués, les représentants d’une trentaine de communautés indigènes sont pris en charge à leur arrivée par les services médicaux de Santa Cruz. Sur la symbolique place centrale de la ville, première du pays à obtenir l’indépendance, ils déploient leurs banderoles et expliquent aux passants les objectifs de leurs luttes. « Nous voulons la reconnaissance de la dignité du territoire et des peuples autochtones qui l’habitent », explique Marcial Fabricano, leader indigène de 68 ans, déjà l’un des protagonistes de la Ière marche autochtone de 1990. 

Ces marches ont permis des avancées significatives dans la reconnaissances des droits des minorités indigènes, mais ont été raillées, et même réprimées par l’ancien gouvernement d’Evo Morales, pourtant premier président autochtone du pays.

Le gouvernement refuse tout dialogue
Le gouvernement Arce dénonce un politisation du mouvement indigène, qui serait à la solde du gouvernement de droite et des entrepreneurs de Santa Cruz. Les marcheurs chercheraient à « déstabiliser le pays », affirme même dans les journaux le député Daniel Rojas, issu des rangs du MAS. La Paz, siège du gouvernement, refuse tout dialogue avec les leaders autochtones malgré les offres lancées par Marcial Fabricano : « Les incendies et les occupations de terres par des personnes extérieures à nos communautés ravagent notre territoire. Les indigènes, tout comme les non-indigènes, nécessitent la nature pour survivre. Nos arbres, nos rocs, notre eau disparaissent. Nous sommes là pour écouter ce que le gouvernement a à nous répondre sur cela », déclare l’iconique sexagénaire autochtone. Que fera-t-il si le gouvernement refuse le dialogue ? « Nous écouterons sa réponse », répète-t-il.

Difficile pour le MAS de taxer les marcheurs de raciste, un qualificatif qu’il ne manque pas d’utiliser pour l’élite de Santa Cruz, son principal adversaire politique et qui soutient la marche. Interrogé sur l’accueil offert par le gouverneur du département de Santa Cruz, Luis Fernando Camacho, Fabricano se justifie qu’il « ne peu[t] ignorer une autorité élue par les habitants de Santa Cruz ; qui suis-je pour ne pas répondre à son salut, à sa présence, s’il vient à nous ? Nous avons reçu tout le monde dans notre marche, sans discrimination, et nous ne savons même plus qui s’est joint à nous et dans quel but. Mais nos sommes transparents, sincères, respectueux, humbles, et fermes comme le sont les indigènes ».

L’éco-système amazonien, le grand oublié des calculs politiques
Les tensions entre les autochtones boliviens et le gouvernement bolivien ne datent pas d’hier. Six marches ont été organisées depuis l’arrivée d’Evo Morales au pouvoir en 2006. Selon le CEDIB, une ONG bolivienne de droits humains, « en 2011, 2000 indigènes furent violemment arrêtés par les forces de l’ordre. Le but du gouvernement est d’en finir avec les terres indigènes et de les offrir aux multinationales pour qu’elles en extraient les richesses minérales et les hydrocarbures qu’elles contiennent ».

Alex Villca, célèbre activiste indigène dont l’ONG a la particularité de travailler avec les ethnies de l’Altiplano, va même plus loin : « Le MAS n’a que faire des autochtones. Nos territoires diminuent un peu plus chaque jour en raison de l’occupation illégale de nos terres par les ethnies de l’Altiplano. Des routes et des projets extractivistes bétonnent notre environnement. Nous sommes les gardiens du poumon de la terre, l’Amazonie, et nous sommes en train de perdre notre combat ». Et de préciser : « Le gouvernement d’Añez (nda : ex-présidente intérimaire, aujourd’hui emprisonnée) ne nous a pas mieux traité, ni mieux traité la Mère nature ».

Dans un pays profondément divisé politiquement, le plus lourd tribut du conflit est en effet payé par les forêts. La plus grande catastrophe écologique de l’histoire de Bolivie s’est produite en 2019, lorsque 6 millions d’hectares de la forêt tropicale du Chiquitano sont partis en fumée, lors d’incendies « contrôlés » autorisés par décret de l’ex-président Morales. Les terres devenues ainsi cultivables ont été immédiatement occupées par les ethnies de l’Altiplano, le soutien principal du MAS. Depuis, et malgré deux gouvernement successifs d’obédience opposée, 5 millions d’hectares supplémentaires ont disparus ; à un mois de la COP 26 de Glasgow, la lutte des gardiens de l’Amazonie pour plus de dignité risque de ne pas être écouté en Bolivie – ni ailleurs.
Jean-Claude Vignoli
Illustration : Vianka Andrea Reyes Coca

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