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Les amérindiens en danger après l’élection du nouveau président brésilien

Le nouveau président brésilien élu le 28 octobre a multiplié les annonces visant directement l’Amazonie, les communautés autochtones et les défenseurs de l’environnement. Jair Bolsonaro veut la fin des démarcations de terres indigènes et ouvrir de larges zones de forêts à l’exploitation minière et à l’agrobusiness, des secteurs économiques qui ont appuyé sa candidature.

Le nouveau président élu – qui doit entrer en fonction en janvier – a déjà annoncé qu’il voulait retirer le Brésil de l’Accord de Paris sur le climat. Avant de tempérer ce refus : le Brésil respecterait l’Accord de Paris si on lui laissait les mains libres sur l’Amazonie. C’est bien là le cœur de son programme en matière de destruction de l’environnement : le politicien d’extrême droite a multiplié les déclarations qui laissent craindre le pire pour l’Amazonie brésilienne, ses forêts et ses réserves d’eau douce.
Le programme de Bolsonaro prévoit la mise sous tutelle de l’environnement par le ministère de l’Agriculture. Cette « fusion » aura pour conséquence de soumettre encore davantage la défense de l’environnement aux intérêts de l’agrobusiness, puissant secteur économique au Brésil. De vastes cultures de soja – souvent OGM, exportées ensuite vers l’Amérique du Nord et l’Europe – remplacent progressivement l’écosystème amazonien et participent à la déforestation.

Bolsonaro soutient aussi l’ouverture de larges zones de l’Amazonie à l’exploitation minière. Il conteste les mesures de protection des terres indigènes et des quilombolas, ces communautés de descendants d’esclaves affranchis. Les députés et sénateurs dits « ruralistes » élus au parlement comptent sur le nouveau président pour défendre leurs intérêts face aux communautés amérindiennes et aux dépens de l’intérêt général de la planète.

Déjà plus de 20 % de la forêt amazonienne – dont près des deux tiers se trouvent au Brésil – a été détruite, alors que la zone joue un rôle essentiel dans la régulation du climat mondial. Dans le bassin du fleuve Xingu, l’une des zones les plus convoitées à l’Est de l’Amazonie, plus de 100 000 hectares de forêt ont été rasés en dix mois, soit l’équivalent d’un département comme le Val d’Oise. Avec Bolsonaro au pouvoir, cette déforestation risque de prendre des dimensions bien plus dévastatrices et rapides. 

Les populations locales d’Amazonie sont déjà les premières exposées aux conséquences environnementales des grands projets énergétiques, comme le barrage du Belo Monte, ou miniers, comme le projet de mine d’or de Belo Sun, une entreprise canadienne. Des cas réguliers de pollutions de l’eau sont déjà constatés de la part d’entreprises industrielles et minières européennes, comme la française Imerys et la norvégienne Norsk Hydro. Ces atteintes déjà graves à l’environnement risquent bien de se multiplier.

« Bolsonaro a annoncé la reprise des projets de barrages hydroélectriques, alors qu’ils avaient été suspendus. Cela aussi est très inquiétant », souligne Gert-Peter Bruch, de l’ONG Planète Amazone. « Certes, pour la première fois à des élections présidentielles, il y avait une candidate indigène à la vice-présidence [Sonia Guajajara, aux côté de Guilherme Boulos, pour le parti de gauche PSOL], et une députée indigène élue au Congrès [Joênia Wapichana, élue pour le parti écologiste Rede]. Mais les luttes indigènes subissent de plus en plus la répression depuis la destitution de l’ancienne présidente Dilma Roussef. Les processus de démarcation des terres indigènes sont au point mort. Cette année, on devrait commémorer les 30 ans de la constitution brésilienne de 1988, constitution qui permet aux populations autochtones de se faire entendre. Mais aujourd’hui, avec l’élection de Bolsonaro, cette constitution est en danger. » Et les droits des populations indigènes avec elle.

Le colistier de Bolsonaro, le général Hamilton Mourão, a déclaré pendant la campagne vouloir faire adopter une nouvelle constitution, sans assemblée constituante. Bolsonaro a aussi annoncé « en finir avec l’activisme environnemental », ne plus laisser « un centimètre de terre démarqué pour les réserves indigènes » tout en libéralisant le port d’armes.

« Nous craignions que la situation empire. Bolsonaro fomente la haine et la violence contre les populations indigènes, avec un discours qui nous accuse d’être un obstacle au développement, ignorant notre contribution à l’équilibre de l’environnement. Alors que nous savons que nos territoires aident à la stabilité climatique et que notre préservation de ces écosystèmes est bénéfique à tout le monde, a réagi dans une déclaration Dinamã Tuxá, coordinateur de l’Association des populations indigènes du Brésil (Apib). Son discours donne à ceux qui vivent autour des territoires indigènes le droit de pratiquer la violence et de tuer impunément. Bolsonaro représente l’institutionnalisation de la violence au Brésil. Nous allons résister à cette haine en protestant dans les rues et par la justice. Nous allons nous battre comme nous le faisons depuis 518 ans », et le début de la colonisation du Brésil par les Européens. « Bolsonaro représente le profil d’une grande partie des Brésiliens, qui n’acceptent pas les peuples indigènes », précise Luiz Eloy Terena, de l’Apib.

Une femme indigène élue pour la première fois au Congrès brésilien

Élue dans l’Etat du Roraima, Joênia Batista De Carvalho est la première femme indigène à devenir députée fédérale au Brésil, elle siègera à la Chambre des députés, seule, face au lobby ruraliste déterminé à détruire les droits des indigènes et à les déposséder de leurs terres.

Dans un pays où les inégalités ethno-raciales font toujours rage, Joênia Batista De Carvalho alias Joênia Wapichana, nom de son peuple d’origine, est devenue dimanche 7 octobre 2018, à 43 ans, la première femme indigène du pays à être élue députée, dans l’Etat du Roraima, au Brésil. Inédit pour un tel poste au sein de la Chambre des députés en 190 ans d’existence d’autant qu’il s’agit seulement de la seconde personne indigène de l’Histoire a prendre ces fonctions, après Mário Juruna, élu de 1983 à 1987, à Rio de Janeiro. Peu après sa victoire, Joênia Wapichana a tracé le chemin de sa future mandature sur son compte instagram : « on a tous une mission dans la vie. La mienne est de défendre les droits collectifs des indigènes. Je serais la voix des Indigènes dans la plus haute Cour du Brésil. »

Née parmi le peuple Wapichana où sa famille vit encore, Joênia Wapichana est devenue, en 1997, la première femme indigène avocate à l’Université Fédérale de Roraima (UFRR) ainsi que la première à faire sa plaidoirie orale devant le Suprême Tribunal Fédéral (STF) en 2008, dans le cadre de la démarcation de la réserve Raposa Serra do Sol. Durant sa carrière, elle n’a cessé de revendiquer ses origines indigènes. Elle a notamment défendu les communautés indigènes de Barro, Maturuca, Jawani, Tamanduá, Jacarezinho et Manalai, prenant la défense de peuples incompris, se demandant quelles erreurs ils ont bien pu commettre pour être jugés, considérés comme des voleurs sur leur propre terre, calomniés, discriminés et voire même tués.
Depuis 1999, Joênia travaillait en tant que Coordinatrice du département juridique du Conseil Indigène de Roraima (CIR). Aujourd’hui, résidant à Boa Vista, elle transmet les traditions et les valeurs de son peuple à ses enfants afin qu’ils comprennent qu’être indigène n’est pas une honte mais une fierté.
Joênia Wapichana, députée, est désormais vue comme l’ange gardien des indigènes, qui risquent de voir leurs droits disparaître si Jair Bolsonaro, candidat de l’extrême droite, remporte la présidentielle. Déterminée et lucide, elle a déclaré sur son compte facebook : « le front anti-autochtone progresse farouchement, mais nous devons nous unir et unir nos forces pour occuper cet espace, garantir notre conquête et conquérir de nouveaux champs. Cette réalisation représente une victoire collective pour tous les peuples autochtones, ce mandat représente des millions de personnes et est au service de la durabilité de Roraima, de l’Amazonie et du pays. Nous occupons une partie importante du territoire national, nous détenons des connaissances uniques et des valeurs essentielles. »
Sources : Bastamag.net, planeteamazone.org

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